TF 6B_194/2024 Arrêt du 17 mai 2024
Cet arrêt résume de façon convaincante la jurisprudence du TF à propos de l’art. 187 du code pénal (l’interdiction de commettre des actes sexuels avec des enfants). Bien que cet arrêt ait été rendu à propos de l’ancienne formulation de cet article, le raisonnement s’applique également au « nouveau » droit (en vigueur dès juillet 2024). Pour le détail, voir en particulier le consid. 1.1.2 reproduit intégralement infra).
Cet arrêt détaille également l’interdiction à vie d’exercer « toute activité professionnelle et de toute activité non professionnelle organisée impliquant des contacts réguliers avec des mineurs » prévue par l‘art. 67 al. 3 CP. Les considérants 2.2 à 2.5 s’intéressent en particulier à l’exception prévue à l’art. 67 al. 4 bis CP : « Dans les cas de très peu de gravité, le juge peut exceptionnellement renoncer à prononcer une interdiction d’exercer une activité au sens des al. 3 ou 4 lorsqu’elle ne paraît pas nécessaire pour détourner l’auteur d’autres infractions passibles de cette même mesure« .
Alors que l’interdiction à vie est la règle en cas de condamnation pour une infraction commise en vertu de l’art. 67 al. 3 CP, deux conditions cumulatives peuvent exceptionnellement conduire le juge à renoncer à cette interdiction. « D’une part, il doit s’agir d’un cas de très peu de gravité et, d’autre part, la mesure d’interdiction ne doit pas paraître nécessaire pour détourner l’auteur d’autres infractions passibles de cette même mesure. » (consid. 2.2.1).
Ces deux conditions sont sujettes à une appréciation globale du juge.
« Peuvent par exemple être considérées comme infractions sexuelles de très peu de gravité, du fait de la légèreté de la peine abstraite qui leur est attachée, les désagréments causés par la confrontation à un acte d’ordre sexuel (art. 198 CP) ou l’exhibitionnisme (art. 194 CP). Mais d’autres infractions sexuelles exposant leur auteur à des peines plus lourdes pourront aussi, dans certains cas, être considérées comme étant de très peu de gravité (actes d’ordre sexuel avec des enfants, art. 187 CP), notamment lorsque le juge relativise fortement la culpabilité de l’auteur et prononce une peine légère à la suite d’une appréciation globale de l’infraction commise et de la situation de l’auteur (FF 2016 5948 ch. 2.1; cf. ATF 149 IV 161 consid. 2.5.4 et les références citées; arrêt 6B_852/2022 du 26 avril 2023 consid. 2.2.1) » (consid.2.2.2)
« Une interdiction ne paraît pas nécessaire (seconde condition de la clause d’exception) si un pronostic suggère que rien ne permet de craindre une récidive. » (consid. 2.2.3).
« 1.1.2. L’art. 187 ch. 1 al. 1 CP réprime le comportement de celui qui aura commis un acte d’ordre sexuel sur un enfant de moins de 16 ans.
L’art. 187 CP a pour but de permettre aux enfants un développement sexuel non perturbé. Il protège le jeune en raison de son âge, de sorte qu’il est sans importance qu’il ait ou non consenti à l’acte. Il s’agit d’une infraction de mise en danger abstraite. Elle est donc réalisée indépendamment du fait que la victime a été effectivement mise en danger ou perturbée dans son développement (arrêts 6B_935/2020 du 25 février 2021 consid. 3.1; 6B_123/2020 du 26 novembre 2020 consid. 6.1; 6B_1122/2018 du 29 janvier 2019 consid. 3.1; cf. ATF 146 IV 153 consid. 3.5.2 p. 156 s.).
Par acte d’ordre sexuel, il faut entendre une activité corporelle sur soi-même ou sur autrui qui tend à l’excitation ou à la jouissance sexuelle de l’un des participants au moins. Selon la jurisprudence, il faut d’abord distinguer les actes n’ayant aucune apparence sexuelle, qui ne tombent pas sous le coup de la loi, des actes clairement connotés sexuellement du point de vue d’un observateur neutre (ATF 131 IV 100 consid. 7.1), lesquels remplissent toujours la condition objective de l’infraction, indépendamment des mobiles de l’auteur ou de la signification que le comportement a pour celui-ci ou pour la victime (ATF 125 IV 58 consid. 3b; arrêts 7B_62/2022 du 2 février 2024 consid. 5.2.2 et les références citées; 6B_866/2022 du 5 juin 2023 consid. 4.1.2).
Dans les cas équivoques (« ambivalente sexuelle Handlungen ») – qui n’apparaissent ni neutres ni clairement connotés sexuellement -, il convient de tenir compte de l’ensemble des éléments d’espèce, notamment de l’âge de la victime ou de sa différence d’âge avec l’auteur, de la durée de l’acte et de son intensité, ainsi que du lieu choisi par l’auteur (ATF 125 IV 58 consid. 3b). La jurisprudence privilégie une approche objective qui ne prend pas en compte les mobiles de l’auteur; il faut que, pour un observateur extérieur, le comportement apparaisse clairement comme un acte à caractère sexuel au vu de l’ensemble des circonstances (ATF 125 IV 58 consid. 3b). Il résulte de la jurisprudence que la notion d’acte d’ordre sexuel doit être interprétée plus largement lorsque la victime est un enfant. Dans ce cas, il faut se demander si l’acte, qui doit revêtir un caractère sexuel indiscutable, est de nature à perturber l’enfant (arrêts 7B_62/2022 du 2 février 2024 consid. 5.2.2 et les références citées; 6B_866/2022 du 5 juin 2023 consid. 4.1.2).
La notion d’acte d’ordre sexuel doit être interprétée plus largement lorsque la victime est un enfant, par exemple pour des attouchements furtifs par-dessus les habits (arrêts 6B_44/2020 du 16 septembre 2020 consid. 5.1; 6B_103/2011 du 6 juin 2011 consid. 1.1; BERNARD CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. I, 3e éd. 2010, n° 7 ad art. 187 CP).
À titre d’exemples, les comportements simplement inconvenants, inappropriés, indécents, de mauvais goût, impudiques ou désagréables doivent demeurer en principe hors du champ des actes pénalement répréhensibles (ATF 125 IV 58 consid. 3b; arrêts 7B_62/2022 du 2 février 2024 consid. 5.2.3; 6B_299/2018 du 4 juillet 2018 consid. 2.1.1). Même si ces actes heurtent le sentiment de pudeur, ils ne sont pas de nature à perturber le développement sexuel des mineurs car ils ne se rapportent pas directement à la sexualité (DUPUIS/MOREILLON ET AL., Petit commentaire Code pénal, 2 e éd. 2017, n. 21 ad art. 187 CP).
En revanche, un baiser lingual, des baisers insistants sur la bouche, de même qu’une caresse insistante du sexe, des fesses ou des seins, même par-dessus les habits, constituent un acte d’ordre sexuel (arrêt 6B_866/2022 du 5 juin 2023 consid. 4.1.2 et les références citées; pour de nombreux exemples, cf. arrêt 7B_62/2022 du 2 février 2024 consid. 5.2.3).
Sur le plan subjectif, l’auteur doit agir intentionnellement, l’intention devant porter sur le caractère sexuel de l’acte, sur le fait que la victime est âgée de moins de seize ans et sur le fait que la différence d’âge est supérieure à trois ans. Les motifs ne sont pas déterminants, de sorte qu’il importe peu que l’acte tende ou non à l’excitation ou à la jouissance sexuelle. Le dol éventuel suffit (arrêts 6B_866/2022 du 5 juin 2023 consid. 2.1.2 et les références citées; 7B_62/2022 du 2 février 2024 consid. 5.2.4). «